Les trois premiers chapitres du livre: REGNE POUVOIR SEXE RICHESSE DES FOSSOYEURS DE L'AFRIQUE

Règne Pouvoir Sexe Richesse

des

fossoyeurs

de

l'Afrique

Quand la bassesse s'assoit sur les hauteurs de la ville, règne et domine.

Shakyna du Jacquiers de Rosée

Règne Pouvoir Sexe Richesse

des

fossoyeurs

de

l'Afrique

Roman

tome I

Quand la bassesse s'assoit sur les hauteurs de la ville, règne et domine.

Freedom Editions

Freedom Editions

www.freedom-editions.fr

Du même auteur, à paraître:

Règne, pouvoir, sexe, richesse

des

fossoyeurs

de

l'Afrique

tome II

« La déchéance s'est couverte d'un fin vernis doré ».

Règne, pouvoir, sexe, richesse

des

fossoyeurs

de

l'Afrique

tome III

« La conquête de Babylone ».

9

À mon bien aimé Schilo,

qui m'a révélé le Créateur, sa nature, ses attributs et ses mystères.

La créature, ses potentiels, ses dons, ses capacités, ses limites,

ses travers, sa flétrissure et son inéluctable descente dans les

abysses les plus profondes et épaisses de l'éternité.

Le mystère de l'incubation de la quatrième dimension positive

et négative.

11

Au guide de la révolution libyenne,

le colonel Muammar Kadhafi, qui a été mon mentor en politique

pour l'unité africaine et plus précisément dans le processus de

démystification des pouvoirs africains.

En dévoilant la mentalité de servitude et de mendicité de certains

chefs d'État, dépourvus d'un minimum de dignité, d'idéal

et de perspectives pour les peuples assujettis qu'ils gouvernent.

12

Ta différence, mon frère, loin de m'irriter, m'enrichit.

A. DE SAINT-EXUPERY

L'expérience est une lampe qui n'éclaire que le chemin parcouru.

Proverbe chinois

Quand le juste baisse les bras, le mal triomphe.

Proverbe de Salomon

13

Préface

SHAKYNA DU JACQUIERS DE ROSEE

Descendante d'un colon qui s'est illustré dans la reconnaissance

et l'émancipation des peuples noirs, Shakyna du Jacquiers de

Rosée a hérité de la même force de conviction. Fille d'un des

grands artisans et activistes de l'indépendance de l'Afrique, elle

a baigné dès sa naissance dans le contexte des luttes insurrectionnelles

indépendantistes.

A la fin de ses études, un concours de circonstances lui permet

d'intégrer les arcanes du pouvoir en Afrique. Ce sera le point

de départ d'une rencontre entre un espoir forgé au travers d'un

idéal atavique et la dure réalité de la gestion du pouvoir. Des

déceptions et des désillusions seront au rendez-vous, parce que

les chefs d'États, ses employeurs, doivent conjuguer entre un

discours démagogique voire populiste et la gestion des affaires

de l'État au quotidien.

Souvent révoltée, mais espérant trouver l'homme d'État qui

pourrait restituer à l'Afrique son lustre d'antan, elle claque

souvent la porte pour ne pas trahir les idéaux de ses devanciers

et change de pays car sa conception de la justice sociale n'est

pas soluble dans l'éthique politique de ses mandataires. En effet,

ces derniers, loin d'incarner la rupture dont ils se réclament,

ne sont très souvent ni plus, ni moins que les fossoyeurs de leur

peuple.

Règne, Pouvoir, Sexe, Richesse des fossoyeurs de l'Afrique

14

Plusieurs décennies de proximité avec ces leaders « charismatiques

», lui ont permis de mettre en évidence la duplicité de ses

derniers, vis à vis de la communauté internationale, cela au

détriment des populations africaines qui vivent dans une situation

apocalyptique.

Les années passées au coeur du pouvoir n'ont pas entamé la foi

de Shakyna du Jacquiers de Rosée dans les valeurs et les potentialités

que l'Afrique est en droit d'incarner. Témoin vivant d'un

système sclérosé qui enfonce chaque jour des vies humaines

brutalisées, dépouillées et nécrosées dans les abysses de la médiocrité,

de la perversion, de la prostitution, de la destruction

et des abominations insoupçonnées et insoutenables, elle met

en lumière à travers l'écriture les contradictions qui régissent le

système. La trilogie « Règne-Pouvoir-Sexe-Richesse des fossoyeurs

de l'Afrique » est le récit de sa vision du pouvoir africain.

L'éditrice

 

17

Chapitre I

La grande nouvelle

Le soleil amorçait sa descente quotidienne, lorsque deux silhouettes

abordèrent en chantant le sommet de la colline. Valentin

et Samuel, deux quinquagénaires du village de Kamga,

contrée située au coeur de l'Afrique, étaient épuisés et à moitié

déshydratés. En effet, il n'y avait pas eu d'arrêt dans leur périple

qui suivait un trajet s'étendant de la grande rivière jouxtant la

vallée jusqu'à la colline.

Ce n'est qu'une fois arrivés au sommet de cette dernière que les

compagnons s'arrêtèrent enfin pour souffler et profiter d'une

halte méritée. Souriant, ils bombèrent le torse et se mirent à humer,

à cet endroit, l'air frais qui remplissait leurs poumons, tout

en regardant de part et d'autre de l'espace environnant.

Bien qu'habitués, ils ne se lassaient jamais du spectacle que leur

offrait ce panorama magnifique. Cet emplacement précis leur

procurait la sensation d'avoir le monde entier à leurs pieds. Le

sommet de la colline qui surplombait la vallée, le village, la forêt,

la rivière et tout le reste du relief des alentours faisait paraître

tout le reste plus petit.

Règne, Pouvoir, Sexe, Richesse des fossoyeurs de l'Afrique

18

Absorbés par la contemplation du paysage, les bras tendus vers

le ciel et le menton levé, les deux hommes se turent un moment,

tout en laissant leur imagination s'égarer bien au-delà des limites

de leur champ visuel. Au bout de quelques instants de réelle satisfaction,

ils se résolurent à dévaler la piste pierreuse du versant

opposé, en dépit de la fatigue, de la faim et de la soif. Ils se soutenaient

mutuellement avec le secours d'un bâton pour freiner la

descente assez raide.

Arrivés au pied de la colline, ils longèrent un chemin sinueux

et étroit qui s'élargissait peu à peu, avant de déboucher sur une

immense clairière ombragée au sol damé. Il s'agissait du passage

obligé pour se rendre au village, une sorte d'allée en terre battue,

longue et large. Ce qui la rendait impressionnante était que, de

mémoire de villageois, personne n'avait jamais pu expliquer ou

dire qui l'entretenait pour la maintenir perpétuellement dans cet

état de netteté. On n'y avait jamais vu pousser le moindre brin

d'herbe sauvage. En toute saison, le sol demeurait dur et plat.

On ne savait pas non plus quand et comment la clairière avait été

aménagée. Cet aspect curieux et insolite alimentait les imaginations

des habitants de Kamga et des villages avoisinants.

Selon les croyances, on l'appelait « le domaine des ancêtres » ou

« le carrefour des djinns ».

Ce passage fendait littéralement la luxuriante, dense et sauvage

végétation tropicale de la forêt. Il y avait des palmiers et des

cocotiers qui le bordaient. Plus on avançait, plus celui-ci devenait

une sorte de clairière à moitié couverte, tant les longues et

larges feuilles des arbres se rencontraient pour former une sorte

Règne, Pouvoir, Sexe, Richesse des fossoyeurs de l'Afrique

19

de voûte naturelle. Ce lieu faisait partie intégrante des considérations

superstitieuses qui circulaient dans la région. Dans les

tréfonds de l'imagination des villageois, la seule stature imposante

de ces magnifiques et gigantesques arbres leur conférait le

rôle, sinon l'appellation, de « gardiens ». Car par leur présence,

ils semblaient manifestement stopper la progression de la forêt.

Ajouté à cela, le nom des défunts qui étaient associés à chacun de

ces arbres, leur conférait le statut magique de « réincarnation des

ancêtres. » Ces arbres inspiraient une considération sans faille,

de la même nature que le respect et la crainte dévolus aux aïeux.

Il était formellement interdit de les abattre. Le produit de leurs

entrailles était, par la même occasion, sujet à vénération.

Le palmier dont était extrait un nectar appelé « vin de palme »,

n'était pas sans leur rappeler le lait maternel. Il symbolisait dans

leur culture une des demeures de la déesse mère de l'univers.

Les habitants du village étaient convaincus que c'est à partir des

palmiers que dame nature fabriquait le liquide que contenaient

tous les seins des femmes enceintes, prêtes à donner la vie.

Pourtant, cette boisson étrange jaillie des profondeurs de la

terre, aux vertus thérapeutiques incontestables, était interdite

de consommation aux femmes non initiées. Les hommes avaient

imposé leur diktat. Ils raffolaient tous de cette boisson que le

sorcier avait légiféré et qui avait la particularité de voir augmenter

son degré d'alcool de jour en jour. Ainsi, trois jours après son

extraction, si on ne la conservait pas dans un endroit frais, elle

devenait quasiment imbuvable pour le commun des mortels, tant

son niveau d'alcoolémie devenait élevé. Cependant pour certains,

Règne, Pouvoir, Sexe, Richesse des fossoyeurs de l'Afrique

20

ce détail ne semblait absolument pas les gêner. C'était : « les

maîtres initiés ». Au contraire, ces derniers appréciaient l'ivresse

joyeuse qu'elle leur procurait et se réservaient jalousement le

droit de sa distribution, surtout pendant certaines cérémonies.

Quant au cocotier, il symbolisait l'homme. Les noix de coco représentaient

les attributs masculins. C'est la raison pour laquelle,

contrairement au vin de palme, dont les chefs coutumiers avaient

accepté de faire des concessions pour que certaines femmes puissent

le boire, le liquide que contenaient les noix de coco était

formellement interdit à celles-ci.

Arrivé au coeur du « domaine des ancêtres », Valentin prit une

attitude servile avant de se prosterner jusqu'à ce que son front

touche le sol dur en signe de déférence. Dans les salutations que

celui-ci adressait aux ancêtres, son compagnon de chasse Samuel,

bien que de confession chrétienne, n'était pas oublié. Le fait que

ce dernier ne partage pas ces pratiques cultuelles ancestrales

n'y changeait rien. Car pour avoir accès à cet endroit, il fallait

absolument faire allégeance selon la coutume. Il devait se prosterner

plusieurs fois et faire des signes avec les mains et les pieds,

comme s'il exécutait une danse acrobatique. Renouvelant sans

cesse ses multiples mouvements avec une frénésie calculée, pour

saluer ses ancêtres, maîtres des lieux, il sollicitait par la même

occasion une permission d'entrée.

Lorsqu'il eut fini de gesticuler rituellement et de prononcer des

paroles incantatoires, Valentin se leva d'un trait. Par un mouvement

de la tête, il fit comprendre à son ami que l'étape des

civilités ancestrales était terminée et l'invita ainsi à le suivre. Ils

Règne, Pouvoir, Sexe, Richesse des fossoyeurs de l'Afrique

21

se hâtèrent car un autre rituel beaucoup plus gai et charnel les

attendait quelques mètres plus loin dans les arbres situés près de

la sortie de la clairière.

Le site dans lequel ils se trouvaient ne produisait aucune sensation

particulière en pleine journée. Ce n'est qu'à la tombée de

la nuit qu'il révélait son caractère sacré. Et pour cette raison, le

crépuscule qui arrivait tôt à cette époque de l'année ne devait absolument

pas les surprendre, non seulement dans la forêt, mais a

fortiori dans ce lieu. Une maxime illustrait la crainte générale des

villageois à l'égard de la nuit et de ses ombres :

« Le mal s'approche toujours à l'abri des ténèbres.»

Assurément, une fois l'obscurité installée, le monde des ombres

s'appropriait celui des vivants. Au sein du village, ce précepte

était appliqué par la majeure partie des habitants. À partir de

minuit, les rares personnes qui osaient se hasarder dans les rues,

étaient en général des initiés.

En ce qui concerne « le domaine des ancêtres » la théorie était

différente. C'était le lieu de repos des défunts, leur demeure

privée. Les imprécations et menaces sibyllines proférées par les

autorités du village, dissuadaient toutes velléités de passer outre.

Selon les propos de ces derniers, la colère des disparus serait fatale

envers quiconque oserait troubler leur repos, en foulant leur

territoire sans autorisation ou initiation préalable.

La rumeur la plus répandue était que tous ceux qui avaient eu le

malheur de s'y aventurer la nuit, n'étaient jamais réapparus.

Règne, Pouvoir, Sexe, Richesse des fossoyeurs de l'Afrique

22

Contrairement à la plupart des villageois, Samuel s'amusait de

toutes les histoires qui circulaient à propos du monde des esprits

et des croyances mystiques traditionnelles s'y rattachant. Il se

moquait constamment de ses compatriotes et n'omettait pas de

relever les incohérences évidentes à ses yeux, entre la terreur

que leur inspiraient les esprits de la nuit, la foi et les croyances

animistes dont les injonctions étaient régies par un monde surnaturel:

Celui des morts. Le cortège des lois, des ordonnances,

des interdits et des pratiques obscures liés à cette croyance

l'attristait aussi. Il trouvait que leur soumission à ces coutumes,

non seulement les rendait tous dépendants et infantiles, mais elle

conditionnait tous leurs faits et gestes sans oublier leurs activités.

Terrifiés au plus haut niveau, ils obéissaient tous au doigt et

à l'oeil, comme des automates, aux prescriptions de ceux qu'ils

vénéraient.

— Alors, dans la mesure où les esprits censés vous protéger et qui

coexistent avec vous sont vos parents défunts, pourquoi avezvous

peur d'eux ? leur demandait Samuel.

C'est pour cela qu'il estimait que la terreur que le monde de

la nuit suscitait en eux était injustifiée. Était-ce dû à la parfaite

symbiose de leur cohabitation dans l'au-delà avec le monde des

ténèbres ? Ou à la crainte générée par la non-maîtrise du monde

des esprits ? Afin d'éveiller leur esprit critique et de leur offrir

une autre alternative, Samuel les chambrait de temps en temps

de cette façon :

— Mais vous, là, avec vos dieux, là, ils paraissent beaucoup plus

vous effrayer que vous protéger ! Avez-vous au moins des assurances

sur leur réelle protection ? Car il me semble que leurs

Règne, Pouvoir, Sexe, Richesse des fossoyeurs de l'Afrique

23

bienfaits sont totalement dépourvus d'amour mais radicalement

conditionnés. S'ils vous aimaient, ils ne vous contraindraient

pas à faire des choses aussi pénibles, abjectes ou inhumaines.

On a l'impression que vous êtes plutôt leurs esclaves que leurs

enfants. Ils tirent une jouissance à vous faire souffrir de la sorte.

Ils ne font rien pour rien. Leurs services coûtent extrêmement

cher. Pour couronner le tout, ils vous culpabilisent, en plus,

pour mieux vous dominer. Le pouvoir, certes, je n'en doute pas,

est là. Mais qui est derrière ce pouvoir esclavagiste ? Pourquoi

n'agissent-ils pas pour éradiquer la misère et les multiples fléaux

qui s'abattent dans le pays ? Mes frères, posez-vous la question et

réfléchissez, on reconnaît un arbre à ses fruits, réfléchissez !

Ces critiques tout en agaçant Valentin, ne prêtaient pas à conséquence,

car il se disait que son ami était victime d'un esprit

malin occidental jaloux des pouvoirs africains et voulait l'induire

en erreur. Il savait qu'à la base, son ami n'était pas guidé par la

méchanceté.

Tandis que les deux compères s'enfonçaient de plus en plus dans

l'espace de toutes les fantasmagories, l'inquiétude qui les avait

préalablement étreint faisait maintenant place à une certaine

effervescence. Après avoir regardé leurs montres, ils s'étaient

rassurés qu'une bonne trentaine de minutes leur restait avant la

disparition totale du soleil, ce qui était largement suffisant.

À chaque pas qui les dirigeait vers la sortie, les traits de leurs

visages se rassérénaient progressivement. Ravis, l'expression de

leur joie entraîna la décélération de la cadence de leurs pas ; simultanément,

ils se mirent à respirer fortement par de profondes

Règne, Pouvoir, Sexe, Richesse des fossoyeurs de l'Afrique

24

inspirations. C'était leur façon à eux de s'imprégner, de savourer

l'atmosphère rafraîchissante et apaisante de l'insolite clairière

ombragée. Les immenses branches de ces arbres mystérieux, tels

d'immenses parasols, devaient y être pour quelque chose. Les

deux compagnons en oublièrent même toutes leurs appréhensions

et enlevèrent leurs chapeaux, ne redoutant ni les rayons

du soleil, brûlants à cette époque de l'année, et encore moins la

tombée de la nuit à venir.

Ce faisant, ils éprouvaient des sensations indéfinissables. Leurs

yeux levés vers la cime des arbres, les sourires complices qu'ils

affichaient donnaient l'impression de les voir en pleine extase.

Tout en parcourant la clairière avec une allure débonnaire, ils

se laissaient bercer par le chant des oiseaux qui saccadait leur

démarche. Ces mélodies étaient en parfaite synchronisation avec

le bruissement de l'imposant feuillage que la brise faisait s'entrechoquer,

produisant ainsi une symphonie aux accents étranges.

En communion parfaite et profonde avec les éléments environnants,

leur extrême fatigue, accentuée par la faim et la soif, semblait

déjà oubliée. Indépendamment de leur volonté, l'attitude

et la mine jubilatoire qu'ils affichaient, donnaient d'eux l'image

de deux garnements préparant un méfait inavouable. Mais en

fait, ils étaient heureux, vraiment heureux. Ils étaient satisfaits

d'être finalement arrivés au bon moment dans ce lieu qui donnait

tout son sens à la journée de pêche dominicale. Car ils allaient

recueillir le « lait maternel des ancêtres », celui qui n'était réservé

qu'aux seuls « méritants vigoureux et initiés ».

En qualité de « gardien des coutumes », Valentin avait un droit

Règne, Pouvoir, Sexe, Richesse des fossoyeurs de l'Afrique

25

prééminent sur ce vin, après le chef coutumier et le sorcier. Privilège

dont il faisait bénéficier son ami et acolyte Samuel. Celui-ci,

bien qu'il abhorrait toute consommation d'alcool, savourait avec

plaisir le breuvage naturel durant son état de fraîche extraction,

car il était sucré et pratiquement pas alcoolisé.

Soudain, leur attitude changea. Dans un premier temps, ils

accélérèrent leurs pas, puis ils perdirent toute contenance et

coururent, le regard toujours fixé vers la cime des arbres, dans

le but de chercher celui qui devait répondre à leur espérance. Le

sprint auquel ils venaient de se soumettre fut de courte durée car

quelques mètres plus loin, ils s'arrêtèrent devant un immense

palmier. Un vieux ruban rouge avait été attaché autour du tronc.

C'était lui. Le palmier que les deux hommes recherchaient.

Ils firent le tour de l'arbre et le caressèrent amoureusement. Au

sommet de l'arbre, à l'ombre des immenses palmes verdoyantes,

des calebasses semblaient les attendre.

Cette boisson naturelle à base de fermentation de sève de palmier

se récoltait principalement à la saison sèche. Avant qu'ils ne

puissent décrocher ces attirants récipients gorgés du précieux

nectar, les hommes de main du gardien des coutumes avaient au

préalable coupé une partie de la spathe. Des incisions horizontales

sur la tige du spadice avaient permis à la sève de s'écouler

vers une sorte d'entonnoir fabriqué en feuilles de palmier. De

ce conduit, coulait le liquide vers les calebasses. Afin que le flux

de sève n'obstrue pas le passage, ils étaient montés dans l'arbre

pour nettoyer l'entaille, plusieurs fois dans la journée. C'est de

cette manière que les hommes de Kamga récoltaient plusieurs

Règne, Pouvoir, Sexe, Richesse des fossoyeurs de l'Afrique

26

fois par jour, des dizaines de litres de vin de palme.

Pour ce jour particulier, ils avaient laissé la récolte de cet arbre au

gardien des coutumes, tel que ce dernier le leur avait recommandé.

Comme dans une sorte de rituel établi, il leur avait inculqué

cette habitude, de façon à lui permettre, malgré son âge avancé,

de partager des moments de joie avec son ami d'enfance, Samuel.

Et c'est avec une excitation exacerbée par l'impatience qu'il tira

sur la corde qui devait faire descendre une échelle en raphia

roulée, placée tout en haut de l'arbre.

— Nous allons enfin pouvoir nous désaltérer et oublier cette

matinée de pêche infructueuse, affirma-t-il tout en agrippant

l'échelle de fortune.

Après avoir enlevé rapidement ses chaussures, il souffla dans ses

mains, avant de prononcer quelques paroles d'usage. Pendant ce

temps, Samuel affichait un sourire des plus narquois.

Son protocole traditionnel fini, Valentin cracha dans ses mains et,

après les avoir frottées l'une contre l'autre, il saisit à deux mains

l'échelle. Au moment où il l'enjamba, une forte clameur retentit

brusquement dans toute la plaine. Surpris, le vieil homme marqua

un temps d'arrêt, la jambe toujours suspendue. Il tourna

ensuite la tête vers son ami, les yeux interrogateurs. La mine

qu'affichait celui-ci lui fit comprendre qu'il également autant

étonné que lui.

Sans perdre une minute, le gardien des coutumes dégagea son

pied et courut tout autour de la clairière, les mains jointes en

porte-voix sur son oreille droite, les traits tendus. Il cherchait à

Règne, Pouvoir, Sexe, Richesse des fossoyeurs de l'Afrique

27

capter et à localiser la provenance des sons. Mais ceux-ci commençaient

à s'estomper puis finirent par s'arrêter.

Les deux acolytes devenaient de plus en plus inquiets, car ce

n'était absolument pas normal. Oubliant et abandonnant complètement

leur activité précédente, ils s'avancèrent à petit pas vers

la sortie du domaine des ancêtres sans dire un mot. Ils savaient

qu'une fois hors du site étrange, ils pourraient entendre pleinement

tous les sons de la vallée, car l'emplacement en forme d'entonnoir

avait une capacité de résonance. Lorsqu'ils franchirent les

limites du domaine des ancêtres, un silence total les accueillit. Il

n'y avait plus aucune clameur. Tout était calme comme à l'accoutumée,

en dehors des bruits communs émis par les ballets perpétuels

entre la faune et la flore.

Désarçonnés, ils se regardèrent tout en cherchant à comprendre

ce qui se passait. D'un commun accord, ils résolurent de se diriger

vers la piste qui conduisait au village. Tandis qu'ils se ruaient

dans cette direction, leur course fut stoppée par de puissants cris

de guerriers mélangés à des « youyous » de femmes. Ceux-ci envahirent

à nouveau la vallée, retentirent plus violemment et plus

longtemps. Ils étaient accompagnés de battement de tam-tam qui

se distinguaient nettement au fur et à mesure qu'ils avançaient.

Ils s'estompèrent à nouveau, comme emportés par le vent. C'est

alors qu'une terrible appréhension submergea les deux hommes.

— Est-ce que ça vient du village ? demanda Samuel à son ami.

Mais il n'obtint aucune réponse, car celui-ci, absorbé par de

morbides pensées, était inquiet pour sa famille et ses proches.

En effet, la pensée qu'un décès soit survenu en leur absence,

Règne, Pouvoir, Sexe, Richesse des fossoyeurs de l'Afrique

28

submergeait son esprit. Il était convaincu que cela ne pouvait être

que la seule raison probable de cette clameur, dans la mesure où

aucune fête ou autre manifestation n'était prévue à cette époque

de l'année.

Par superstition pour l'un et par sérénit



01/09/2009
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 2 autres membres