Les trois premiers chapitres du livre: REGNE POUVOIR SEXE RICHESSE DES FOSSOYEURS DE L'AFRIQUE
Règne Pouvoir Sexe Richesse
des
fossoyeurs
de
l'Afrique
Quand la bassesse s'assoit sur les hauteurs de la ville, règne et domine.
Shakyna du Jacquiers de Rosée
Règne Pouvoir Sexe Richesse
des
fossoyeurs
de
l'Afrique
Roman
tome I
Quand la bassesse s'assoit sur les hauteurs de la ville, règne et domine.
Freedom Editions
Freedom Editions
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Du même auteur, à paraître:
Règne, pouvoir, sexe, richesse
des
fossoyeurs
de
l'Afrique
tome II
« La déchéance s'est couverte d'un fin vernis doré ».
Règne, pouvoir, sexe, richesse
des
fossoyeurs
de
l'Afrique
tome III
« La conquête de Babylone ».
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À mon bien aimé Schilo,
qui m'a révélé le Créateur, sa nature, ses attributs et ses mystères.
La créature, ses potentiels, ses dons, ses capacités, ses limites,
ses travers, sa flétrissure et son inéluctable descente dans les
abysses les plus profondes et épaisses de l'éternité.
Le mystère de l'incubation de la quatrième dimension positive
et négative.
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Au guide de la révolution libyenne,
le colonel Muammar Kadhafi, qui a été mon mentor en politique
pour l'unité africaine et plus précisément dans le processus de
démystification des pouvoirs africains.
En dévoilant la mentalité de servitude et de mendicité de certains
chefs d'État, dépourvus d'un minimum de dignité, d'idéal
et de perspectives pour les peuples assujettis qu'ils gouvernent.
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Ta différence, mon frère, loin de m'irriter, m'enrichit.
A. DE SAINT-EXUPERY
L'expérience est une lampe qui n'éclaire que le chemin parcouru.
Proverbe chinois
Quand le juste baisse les bras, le mal triomphe.
Proverbe de Salomon
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Préface
SHAKYNA DU JACQUIERS DE ROSEE
Descendante d'un colon qui s'est illustré dans la reconnaissance
et l'émancipation des peuples noirs, Shakyna du Jacquiers de
Rosée a hérité de la même force de conviction. Fille d'un des
grands artisans et activistes de l'indépendance de l'Afrique, elle
a baigné dès sa naissance dans le contexte des luttes insurrectionnelles
indépendantistes.
A la fin de ses études, un concours de circonstances lui permet
d'intégrer les arcanes du pouvoir en Afrique. Ce sera le point
de départ d'une rencontre entre un espoir forgé au travers d'un
idéal atavique et la dure réalité de la gestion du pouvoir. Des
déceptions et des désillusions seront au rendez-vous, parce que
les chefs d'États, ses employeurs, doivent conjuguer entre un
discours démagogique voire populiste et la gestion des affaires
de l'État au quotidien.
Souvent révoltée, mais espérant trouver l'homme d'État qui
pourrait restituer à l'Afrique son lustre d'antan, elle claque
souvent la porte pour ne pas trahir les idéaux de ses devanciers
et change de pays car sa conception de la justice sociale n'est
pas soluble dans l'éthique politique de ses mandataires. En effet,
ces derniers, loin d'incarner la rupture dont ils se réclament,
ne sont très souvent ni plus, ni moins que les fossoyeurs de leur
peuple.
Règne, Pouvoir, Sexe, Richesse des fossoyeurs de l'Afrique
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Plusieurs décennies de proximité avec ces leaders « charismatiques
», lui ont permis de mettre en évidence la duplicité de ses
derniers, vis à vis de la communauté internationale, cela au
détriment des populations africaines qui vivent dans une situation
apocalyptique.
Les années passées au coeur du pouvoir n'ont pas entamé la foi
de Shakyna du Jacquiers de Rosée dans les valeurs et les potentialités
que l'Afrique est en droit d'incarner. Témoin vivant d'un
système sclérosé qui enfonce chaque jour des vies humaines
brutalisées, dépouillées et nécrosées dans les abysses de la médiocrité,
de la perversion, de la prostitution, de la destruction
et des abominations insoupçonnées et insoutenables, elle met
en lumière à travers l'écriture les contradictions qui régissent le
système. La trilogie « Règne-Pouvoir-Sexe-Richesse des fossoyeurs
de l'Afrique » est le récit de sa vision du pouvoir africain.
L'éditrice
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Chapitre I
La grande nouvelle
Le soleil amorçait sa descente quotidienne, lorsque deux silhouettes
abordèrent en chantant le sommet de la colline. Valentin
et Samuel, deux quinquagénaires du village de Kamga,
contrée située au coeur de l'Afrique, étaient épuisés et à moitié
déshydratés. En effet, il n'y avait pas eu d'arrêt dans leur périple
qui suivait un trajet s'étendant de la grande rivière jouxtant la
vallée jusqu'à la colline.
Ce n'est qu'une fois arrivés au sommet de cette dernière que les
compagnons s'arrêtèrent enfin pour souffler et profiter d'une
halte méritée. Souriant, ils bombèrent le torse et se mirent à humer,
à cet endroit, l'air frais qui remplissait leurs poumons, tout
en regardant de part et d'autre de l'espace environnant.
Bien qu'habitués, ils ne se lassaient jamais du spectacle que leur
offrait ce panorama magnifique. Cet emplacement précis leur
procurait la sensation d'avoir le monde entier à leurs pieds. Le
sommet de la colline qui surplombait la vallée, le village, la forêt,
la rivière et tout le reste du relief des alentours faisait paraître
tout le reste plus petit.
Règne, Pouvoir, Sexe, Richesse des fossoyeurs de l'Afrique
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Absorbés par la contemplation du paysage, les bras tendus vers
le ciel et le menton levé, les deux hommes se turent un moment,
tout en laissant leur imagination s'égarer bien au-delà des limites
de leur champ visuel. Au bout de quelques instants de réelle satisfaction,
ils se résolurent à dévaler la piste pierreuse du versant
opposé, en dépit de la fatigue, de la faim et de la soif. Ils se soutenaient
mutuellement avec le secours d'un bâton pour freiner la
descente assez raide.
Arrivés au pied de la colline, ils longèrent un chemin sinueux
et étroit qui s'élargissait peu à peu, avant de déboucher sur une
immense clairière ombragée au sol damé. Il s'agissait du passage
obligé pour se rendre au village, une sorte d'allée en terre battue,
longue et large. Ce qui la rendait impressionnante était que, de
mémoire de villageois, personne n'avait jamais pu expliquer ou
dire qui l'entretenait pour la maintenir perpétuellement dans cet
état de netteté. On n'y avait jamais vu pousser le moindre brin
d'herbe sauvage. En toute saison, le sol demeurait dur et plat.
On ne savait pas non plus quand et comment la clairière avait été
aménagée. Cet aspect curieux et insolite alimentait les imaginations
des habitants de Kamga et des villages avoisinants.
Selon les croyances, on l'appelait « le domaine des ancêtres » ou
« le carrefour des djinns ».
Ce passage fendait littéralement la luxuriante, dense et sauvage
végétation tropicale de la forêt. Il y avait des palmiers et des
cocotiers qui le bordaient. Plus on avançait, plus celui-ci devenait
une sorte de clairière à moitié couverte, tant les longues et
larges feuilles des arbres se rencontraient pour former une sorte
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de voûte naturelle. Ce lieu faisait partie intégrante des considérations
superstitieuses qui circulaient dans la région. Dans les
tréfonds de l'imagination des villageois, la seule stature imposante
de ces magnifiques et gigantesques arbres leur conférait le
rôle, sinon l'appellation, de « gardiens ». Car par leur présence,
ils semblaient manifestement stopper la progression de la forêt.
Ajouté à cela, le nom des défunts qui étaient associés à chacun de
ces arbres, leur conférait le statut magique de « réincarnation des
ancêtres. » Ces arbres inspiraient une considération sans faille,
de la même nature que le respect et la crainte dévolus aux aïeux.
Il était formellement interdit de les abattre. Le produit de leurs
entrailles était, par la même occasion, sujet à vénération.
Le palmier dont était extrait un nectar appelé « vin de palme »,
n'était pas sans leur rappeler le lait maternel. Il symbolisait dans
leur culture une des demeures de la déesse mère de l'univers.
Les habitants du village étaient convaincus que c'est à partir des
palmiers que dame nature fabriquait le liquide que contenaient
tous les seins des femmes enceintes, prêtes à donner la vie.
Pourtant, cette boisson étrange jaillie des profondeurs de la
terre, aux vertus thérapeutiques incontestables, était interdite
de consommation aux femmes non initiées. Les hommes avaient
imposé leur diktat. Ils raffolaient tous de cette boisson que le
sorcier avait légiféré et qui avait la particularité de voir augmenter
son degré d'alcool de jour en jour. Ainsi, trois jours après son
extraction, si on ne la conservait pas dans un endroit frais, elle
devenait quasiment imbuvable pour le commun des mortels, tant
son niveau d'alcoolémie devenait élevé. Cependant pour certains,
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ce détail ne semblait absolument pas les gêner. C'était : « les
maîtres initiés ». Au contraire, ces derniers appréciaient l'ivresse
joyeuse qu'elle leur procurait et se réservaient jalousement le
droit de sa distribution, surtout pendant certaines cérémonies.
Quant au cocotier, il symbolisait l'homme. Les noix de coco représentaient
les attributs masculins. C'est la raison pour laquelle,
contrairement au vin de palme, dont les chefs coutumiers avaient
accepté de faire des concessions pour que certaines femmes puissent
le boire, le liquide que contenaient les noix de coco était
formellement interdit à celles-ci.
Arrivé au coeur du « domaine des ancêtres », Valentin prit une
attitude servile avant de se prosterner jusqu'à ce que son front
touche le sol dur en signe de déférence. Dans les salutations que
celui-ci adressait aux ancêtres, son compagnon de chasse Samuel,
bien que de confession chrétienne, n'était pas oublié. Le fait que
ce dernier ne partage pas ces pratiques cultuelles ancestrales
n'y changeait rien. Car pour avoir accès à cet endroit, il fallait
absolument faire allégeance selon la coutume. Il devait se prosterner
plusieurs fois et faire des signes avec les mains et les pieds,
comme s'il exécutait une danse acrobatique. Renouvelant sans
cesse ses multiples mouvements avec une frénésie calculée, pour
saluer ses ancêtres, maîtres des lieux, il sollicitait par la même
occasion une permission d'entrée.
Lorsqu'il eut fini de gesticuler rituellement et de prononcer des
paroles incantatoires, Valentin se leva d'un trait. Par un mouvement
de la tête, il fit comprendre à son ami que l'étape des
civilités ancestrales était terminée et l'invita ainsi à le suivre. Ils
Règne, Pouvoir, Sexe, Richesse des fossoyeurs de l'Afrique
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se hâtèrent car un autre rituel beaucoup plus gai et charnel les
attendait quelques mètres plus loin dans les arbres situés près de
la sortie de la clairière.
Le site dans lequel ils se trouvaient ne produisait aucune sensation
particulière en pleine journée. Ce n'est qu'à la tombée de
la nuit qu'il révélait son caractère sacré. Et pour cette raison, le
crépuscule qui arrivait tôt à cette époque de l'année ne devait absolument
pas les surprendre, non seulement dans la forêt, mais a
fortiori dans ce lieu. Une maxime illustrait la crainte générale des
villageois à l'égard de la nuit et de ses ombres :
« Le mal s'approche toujours à l'abri des ténèbres.»
Assurément, une fois l'obscurité installée, le monde des ombres
s'appropriait celui des vivants. Au sein du village, ce précepte
était appliqué par la majeure partie des habitants. À partir de
minuit, les rares personnes qui osaient se hasarder dans les rues,
étaient en général des initiés.
En ce qui concerne « le domaine des ancêtres » la théorie était
différente. C'était le lieu de repos des défunts, leur demeure
privée. Les imprécations et menaces sibyllines proférées par les
autorités du village, dissuadaient toutes velléités de passer outre.
Selon les propos de ces derniers, la colère des disparus serait fatale
envers quiconque oserait troubler leur repos, en foulant leur
territoire sans autorisation ou initiation préalable.
La rumeur la plus répandue était que tous ceux qui avaient eu le
malheur de s'y aventurer la nuit, n'étaient jamais réapparus.
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Contrairement à la plupart des villageois, Samuel s'amusait de
toutes les histoires qui circulaient à propos du monde des esprits
et des croyances mystiques traditionnelles s'y rattachant. Il se
moquait constamment de ses compatriotes et n'omettait pas de
relever les incohérences évidentes à ses yeux, entre la terreur
que leur inspiraient les esprits de la nuit, la foi et les croyances
animistes dont les injonctions étaient régies par un monde surnaturel:
Celui des morts. Le cortège des lois, des ordonnances,
des interdits et des pratiques obscures liés à cette croyance
l'attristait aussi. Il trouvait que leur soumission à ces coutumes,
non seulement les rendait tous dépendants et infantiles, mais elle
conditionnait tous leurs faits et gestes sans oublier leurs activités.
Terrifiés au plus haut niveau, ils obéissaient tous au doigt et
à l'oeil, comme des automates, aux prescriptions de ceux qu'ils
vénéraient.
— Alors, dans la mesure où les esprits censés vous protéger et qui
coexistent avec vous sont vos parents défunts, pourquoi avezvous
peur d'eux ? leur demandait Samuel.
C'est pour cela qu'il estimait que la terreur que le monde de
la nuit suscitait en eux était injustifiée. Était-ce dû à la parfaite
symbiose de leur cohabitation dans l'au-delà avec le monde des
ténèbres ? Ou à la crainte générée par la non-maîtrise du monde
des esprits ? Afin d'éveiller leur esprit critique et de leur offrir
une autre alternative, Samuel les chambrait de temps en temps
de cette façon :
— Mais vous, là, avec vos dieux, là, ils paraissent beaucoup plus
vous effrayer que vous protéger ! Avez-vous au moins des assurances
sur leur réelle protection ? Car il me semble que leurs
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bienfaits sont totalement dépourvus d'amour mais radicalement
conditionnés. S'ils vous aimaient, ils ne vous contraindraient
pas à faire des choses aussi pénibles, abjectes ou inhumaines.
On a l'impression que vous êtes plutôt leurs esclaves que leurs
enfants. Ils tirent une jouissance à vous faire souffrir de la sorte.
Ils ne font rien pour rien. Leurs services coûtent extrêmement
cher. Pour couronner le tout, ils vous culpabilisent, en plus,
pour mieux vous dominer. Le pouvoir, certes, je n'en doute pas,
est là. Mais qui est derrière ce pouvoir esclavagiste ? Pourquoi
n'agissent-ils pas pour éradiquer la misère et les multiples fléaux
qui s'abattent dans le pays ? Mes frères, posez-vous la question et
réfléchissez, on reconnaît un arbre à ses fruits, réfléchissez !
Ces critiques tout en agaçant Valentin, ne prêtaient pas à conséquence,
car il se disait que son ami était victime d'un esprit
malin occidental jaloux des pouvoirs africains et voulait l'induire
en erreur. Il savait qu'à la base, son ami n'était pas guidé par la
méchanceté.
Tandis que les deux compères s'enfonçaient de plus en plus dans
l'espace de toutes les fantasmagories, l'inquiétude qui les avait
préalablement étreint faisait maintenant place à une certaine
effervescence. Après avoir regardé leurs montres, ils s'étaient
rassurés qu'une bonne trentaine de minutes leur restait avant la
disparition totale du soleil, ce qui était largement suffisant.
À chaque pas qui les dirigeait vers la sortie, les traits de leurs
visages se rassérénaient progressivement. Ravis, l'expression de
leur joie entraîna la décélération de la cadence de leurs pas ; simultanément,
ils se mirent à respirer fortement par de profondes
Règne, Pouvoir, Sexe, Richesse des fossoyeurs de l'Afrique
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inspirations. C'était leur façon à eux de s'imprégner, de savourer
l'atmosphère rafraîchissante et apaisante de l'insolite clairière
ombragée. Les immenses branches de ces arbres mystérieux, tels
d'immenses parasols, devaient y être pour quelque chose. Les
deux compagnons en oublièrent même toutes leurs appréhensions
et enlevèrent leurs chapeaux, ne redoutant ni les rayons
du soleil, brûlants à cette époque de l'année, et encore moins la
tombée de la nuit à venir.
Ce faisant, ils éprouvaient des sensations indéfinissables. Leurs
yeux levés vers la cime des arbres, les sourires complices qu'ils
affichaient donnaient l'impression de les voir en pleine extase.
Tout en parcourant la clairière avec une allure débonnaire, ils
se laissaient bercer par le chant des oiseaux qui saccadait leur
démarche. Ces mélodies étaient en parfaite synchronisation avec
le bruissement de l'imposant feuillage que la brise faisait s'entrechoquer,
produisant ainsi une symphonie aux accents étranges.
En communion parfaite et profonde avec les éléments environnants,
leur extrême fatigue, accentuée par la faim et la soif, semblait
déjà oubliée. Indépendamment de leur volonté, l'attitude
et la mine jubilatoire qu'ils affichaient, donnaient d'eux l'image
de deux garnements préparant un méfait inavouable. Mais en
fait, ils étaient heureux, vraiment heureux. Ils étaient satisfaits
d'être finalement arrivés au bon moment dans ce lieu qui donnait
tout son sens à la journée de pêche dominicale. Car ils allaient
recueillir le « lait maternel des ancêtres », celui qui n'était réservé
qu'aux seuls « méritants vigoureux et initiés ».
En qualité de « gardien des coutumes », Valentin avait un droit
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prééminent sur ce vin, après le chef coutumier et le sorcier. Privilège
dont il faisait bénéficier son ami et acolyte Samuel. Celui-ci,
bien qu'il abhorrait toute consommation d'alcool, savourait avec
plaisir le breuvage naturel durant son état de fraîche extraction,
car il était sucré et pratiquement pas alcoolisé.
Soudain, leur attitude changea. Dans un premier temps, ils
accélérèrent leurs pas, puis ils perdirent toute contenance et
coururent, le regard toujours fixé vers la cime des arbres, dans
le but de chercher celui qui devait répondre à leur espérance. Le
sprint auquel ils venaient de se soumettre fut de courte durée car
quelques mètres plus loin, ils s'arrêtèrent devant un immense
palmier. Un vieux ruban rouge avait été attaché autour du tronc.
C'était lui. Le palmier que les deux hommes recherchaient.
Ils firent le tour de l'arbre et le caressèrent amoureusement. Au
sommet de l'arbre, à l'ombre des immenses palmes verdoyantes,
des calebasses semblaient les attendre.
Cette boisson naturelle à base de fermentation de sève de palmier
se récoltait principalement à la saison sèche. Avant qu'ils ne
puissent décrocher ces attirants récipients gorgés du précieux
nectar, les hommes de main du gardien des coutumes avaient au
préalable coupé une partie de la spathe. Des incisions horizontales
sur la tige du spadice avaient permis à la sève de s'écouler
vers une sorte d'entonnoir fabriqué en feuilles de palmier. De
ce conduit, coulait le liquide vers les calebasses. Afin que le flux
de sève n'obstrue pas le passage, ils étaient montés dans l'arbre
pour nettoyer l'entaille, plusieurs fois dans la journée. C'est de
cette manière que les hommes de Kamga récoltaient plusieurs
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fois par jour, des dizaines de litres de vin de palme.
Pour ce jour particulier, ils avaient laissé la récolte de cet arbre au
gardien des coutumes, tel que ce dernier le leur avait recommandé.
Comme dans une sorte de rituel établi, il leur avait inculqué
cette habitude, de façon à lui permettre, malgré son âge avancé,
de partager des moments de joie avec son ami d'enfance, Samuel.
Et c'est avec une excitation exacerbée par l'impatience qu'il tira
sur la corde qui devait faire descendre une échelle en raphia
roulée, placée tout en haut de l'arbre.
— Nous allons enfin pouvoir nous désaltérer et oublier cette
matinée de pêche infructueuse, affirma-t-il tout en agrippant
l'échelle de fortune.
Après avoir enlevé rapidement ses chaussures, il souffla dans ses
mains, avant de prononcer quelques paroles d'usage. Pendant ce
temps, Samuel affichait un sourire des plus narquois.
Son protocole traditionnel fini, Valentin cracha dans ses mains et,
après les avoir frottées l'une contre l'autre, il saisit à deux mains
l'échelle. Au moment où il l'enjamba, une forte clameur retentit
brusquement dans toute la plaine. Surpris, le vieil homme marqua
un temps d'arrêt, la jambe toujours suspendue. Il tourna
ensuite la tête vers son ami, les yeux interrogateurs. La mine
qu'affichait celui-ci lui fit comprendre qu'il également autant
étonné que lui.
Sans perdre une minute, le gardien des coutumes dégagea son
pied et courut tout autour de la clairière, les mains jointes en
porte-voix sur son oreille droite, les traits tendus. Il cherchait à
Règne, Pouvoir, Sexe, Richesse des fossoyeurs de l'Afrique
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capter et à localiser la provenance des sons. Mais ceux-ci commençaient
à s'estomper puis finirent par s'arrêter.
Les deux acolytes devenaient de plus en plus inquiets, car ce
n'était absolument pas normal. Oubliant et abandonnant complètement
leur activité précédente, ils s'avancèrent à petit pas vers
la sortie du domaine des ancêtres sans dire un mot. Ils savaient
qu'une fois hors du site étrange, ils pourraient entendre pleinement
tous les sons de la vallée, car l'emplacement en forme d'entonnoir
avait une capacité de résonance. Lorsqu'ils franchirent les
limites du domaine des ancêtres, un silence total les accueillit. Il
n'y avait plus aucune clameur. Tout était calme comme à l'accoutumée,
en dehors des bruits communs émis par les ballets perpétuels
entre la faune et la flore.
Désarçonnés, ils se regardèrent tout en cherchant à comprendre
ce qui se passait. D'un commun accord, ils résolurent de se diriger
vers la piste qui conduisait au village. Tandis qu'ils se ruaient
dans cette direction, leur course fut stoppée par de puissants cris
de guerriers mélangés à des « youyous » de femmes. Ceux-ci envahirent
à nouveau la vallée, retentirent plus violemment et plus
longtemps. Ils étaient accompagnés de battement de tam-tam qui
se distinguaient nettement au fur et à mesure qu'ils avançaient.
Ils s'estompèrent à nouveau, comme emportés par le vent. C'est
alors qu'une terrible appréhension submergea les deux hommes.
— Est-ce que ça vient du village ? demanda Samuel à son ami.
Mais il n'obtint aucune réponse, car celui-ci, absorbé par de
morbides pensées, était inquiet pour sa famille et ses proches.
En effet, la pensée qu'un décès soit survenu en leur absence,
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submergeait son esprit. Il était convaincu que cela ne pouvait être
que la seule raison probable de cette clameur, dans la mesure où
aucune fête ou autre manifestation n'était prévue à cette époque
de l'année.
Par superstition pour l'un et par sérénit